Jachère: État d’une terre labourable qu’on n’a pas ensemencée, à l’effet de la laisser reposer pour la faire produire de nouveau plus abondamment. La jachère est absolue ou complète ou morte, lorsque le sol est au moins une année sans recevoir de semence ; elle est relative ou incomplète, dans le cas contraire ; celle-ci est distinguée en jachère d’été et jachère d’hiver. Dans nos pays une terre est ordinairement en jachère, mais aujourd’hui en jachère cultivée, de trois années l’une. On appelle jachère cultivée les cultures améliorantes qui, dans l’assolement de trois ans, remplacent l’ancienne jachère morte ou complète.
Dictionnaire Littré
Le principe des jachères s’est progressivement systématisé au fil du temps, et le festival de Glastonbury est régulièrement mis en pause certaines années.
Alors que nous subissons un hiatus forcé de deux ans, revenons sur l’histoire de ces répits plus ou moins réguliers. C’est un sujet que j’avais il y a quelques années évoqué de manière prédictive (cf. Propos de Jachères), avec l’idée de prévoir à l’époque à quel moment devrait avoir lieu la prochaine. C’était en pendant la jachère de 2018, et je prévoyais la suivante en 2024, mais la pandémie a bouleversé ces prévisions. En fait, il n’y a pas de règle systématique à la chose, et c’est donc sous l’aspect historique que je veux aborder cette fois le sujet. Expliquer pourquoi toutes ces interruptions ont eu lieu. Ce sera l’occasion, en cette période très calme, de parfaire notre culture générale sur Glasto.
Le premier festival de Glastionbury, qui s’appelle en réalité Pilton Jazz & Blues festival, organisé par Michael Eavis sur fonds propres, a eu lieu en 1970. Et comme c’est un désastre économique, il n’y aurait pas dû y avoir d’autre édition. Mais, en 1971, Andrew Kerr, qui désire organiser un free festival, contacte Michael Eavis, et la Glastonbury Fayre, considérée comme la deuxième édition du festival de Glastonbury, est organisée dans les champs de la Worthy Farm. Pas de notion de rendement économique à considérer pour cette édition, puisque le festival était gratuit. Mais c’en est fini, pour un bon moment, du festival de Glastonbury qui n’a aucun caractère perenne à cette époque.
1972 – 1978, la grande jachère
Suit donc une période de 1972 à 1978, sans festival, que j’ai appelée la grande jachère. Il ne vient à personne, et surtout pas à Michael Eavis, qui s’est presque ruiné, de tenter à nouveau l’expérience. Par ailleurs, c’est une période bouillonnante pendant laquelle le monde musical et des festivals se développe au Royaume-Uni (cf. Histoire chapitre 6 – La grande Jachère). Cette effervescence, finit par donner l’idée, en 1979, à certains anciens de la Glastonbury Fayre, aux premiers desquels Arabella Churchill (la petite fille du premier ministre), et Bill Harkin (le concepteur de la Pyramide) de contacter Michael Eavis, et relancer le festival qui pour la première fois se nomme Festival de Glastonbury, sur une base annuelle.
Un léger déficit l’année précédente cause une pause en 1980
L’édition 1979 s’est bien passée, mais le bilan économique n’est pas équilibré. Le déficit n’est pas catastrophique, mais cause une interruption en 1980. C’est donc davantage à une interruption temporaire, presque inévitable au début d’un projet si peu mature, que nous avons affaire cette année là. En 1981, le festival reprend, avec Michael Eavis à la tête d’une équipe composée toujours d’anciens de la Glastonbury Fayre: Arabella Churchill, Bill Harkin, Thomas Crimble, et Andrew Kerr, qui est de retour. S’en suit la plus longue période pendant laquelle le festival est organisé chaque année, sans interruption; de 1981 à 1990. Dix éditions qui ne s’organisent pas sans mal, et même pleines de péripéties, mais Glasto trouve sa place dans le calendrier des festivals britanniques, et bâtit petit à petit ses fondations et sa notoriété. Personellement, c’est en 1988 que j’ai pour la première fois entendu parler de ce festival, dans une interview de Daevid Allen, ancien leader du groupe Gong. Il évoquait alors un festival émergent, un peu marginal, et très créatif.
Le hiatus de 1991 conséquence de la bataille de Yeoman’s Bridge
A la fin de l’édition 1990, a lieu la bataille de Yeoman’s Bridge. C’est un émeute de travellers qui éclate sur place, au lendemain du festival, et qui résulte de tensions qui règnent depuis plusieurs années entre travellers et sécurité. Les agents de sécurité, peu professionnels, opéraient des contrôles musclés des travellers, confisquaient parfois la drogue qu’il trouvaient sur certains pour la revendre dans le festival. Le lundi matin, le festival vient de se terminer, un différent oppose une poignée de travellers en train de récupérer des tentes abandonnées sur place, avec des agents de sécurité qui veulent évacuer le site. Une bagarre éclate, qui met le feu aux poudres. Finalement, c’est la police qui vient mettre un terme à cette confrontation extrémement violente. Il résulte de cet évènement, qu’il est indispensable de réorganiser le festival. En particulier, il existait depuis 1985 un festival « off » organisé par les travellers sur des terrains voisins, prêtés par Michael Eavis. La jachère de 1991, sert donc à repenser le festival, supprimer le « off », et éviter l’anarchie qui s’était mise en place pendant la décennie précédente.
Raisons médicale, resquilleurs, ou problèmes judiciaires, difficile de connaître les raisons réelles de la pause de 1996
Le festival reprend en 1992. Il est en quelque sorte victime de son succès, car le public est toujours plus nombreux, ce qui cause aussi l’afflux de nombreux resquilleurs. C’est désormais le nouveau problème auquel les organisateurs vont devoir faire face pour continuer le festival. Le nombre croissant de festivaliers, dont certains n’hésitent pas à s’introduire dans les propriétés privées, irrite le voisinage, et la cohabitation entre festivaliers et villageois est conflictuelle. A cette époque, il est de plus en plus compliqué de négocier les autorisations d’organisation auprès des institutions locales. Les procédures judiciaires se succèdent. Et pour couronner le tout, on diagnostique, en 1995, un cancer de l’estomac à Michael Eavis. Une pause a lieu en 1996, sans doute pour permettre au patron de récupérer de son traitement médical, mais aussi pour tenter de trouver une parade aux resquilleurs, et apaiser les relations avec le conseil de Mendip, qui gère les affaires locales, et donne les autorisations. Par ailleurs, c’est une période où cette négociation se joue aussi sur le terrain judiciaire.
Il est à noter qu’une période de cinq ans, de 1991 à 1996, s’est écoulée entre les deux précédentes jachère, c’était un hasard. Mais la prochaine va survenir, une nouvelle fois par hasard, cinq ans plus tard, en 2001.
Jachère 2001 la mise en place de la super fence
Le festival redémarre en 1997, pour nous amener à l’année 2000 où le festival est à son apogée. Il a acquis une telle popularité que le nombre de resquilleurs bat tous les records. On estime qu’il y a eu cette année là 200 000 personnes sur le site, le double de ce qui était autorisé par la licence. Le conseil de Mendip menace très fermement les organisateurs de ne plus donner son autorisation, si une solution n’est pas trouvée pour résoudre définitivement le problème. Une interruption en 2001 est mise à profit pour créer la grande barrière (super fence), de 4m de haut, et d’une longueur de 8km, qui entoure le festival. Cette solution règle définitivement le problème, et à partir de cette date, les relations entre festival et conseil de Mendip se normalisent.
2006 première jachère par tradition
A partir de 2001 les problèmes de sécurité sont résolus, le festival acquiert une notoriété grandissante et devient petit à petit l’institution que l’on connait. Puisque depuis 1991 le festival s’est interrompu tous les cinq ans, le principe des jachères est acté. Il permet en particulier de repenser régulièrement l’organisation. On peut imaginer que les années où le festival est organisé, une majorité du temps est consacré à la programmation, et les prises de contact avec les artistes. Se poser pendant une année permet de revoir les différents espaces, les animations, de se renouveler. En particulier, Emily Eavis, qui épaule son père depuis le décès de sa mère en 2000, crée la zone the Park pendant la pause de 2006. On peut supposer qu’elle est pour une grande part instigatrice de cette tradition qui advient pour la première fois en 2006 sans contrainte.
2012 la pause olympique
Le rythme quinquennal qui s’était mis en place, aurait dû conduire à une pause en 2011. Le choix a été fait de la décaler d’une année à 2012. Il n’y a pas jamais eu de communication sur la cuse réelle de ce choix, mais il y a fort à parier que d’une part Michael Eavis devait trouver trop courte l’alternance quinquennale de 4 éditions pour une année de jachère. Mais aussi y avait-il tout intéret d’éviter d’organiser le festival la même année que les jeux olympiques de Londres. Finalement ce nouveau rythme de 6 ans semble se mettre en place à partir de ce moment.
2018
Six ans plus tard, donc, en 2018 a lieu la dernière jachère programmée par les organisateurs. 2012 et 2018 n’ont pas donné lieu à des réorganisations profondes du site. C’est davantage sur l’organisation, les partenariats, la mise en conformité avec l’éthique écologique, que les mutations du festival se sont opérées, lors de ces deux dernières jachères.
2020 – 2021 la jachère COVID
Après la pause de 2018, l’édition 2019 est organisée normalement. On part pour une série qui doit logiquement nous conduire jusqu’à l’édition 2023, et une pause en 2024. Mais en 2020, la pandémie de COVID se répand, et a cause l’annulation de deux éditions du festival 2020 et 2021. Il est à noter qu’il n’y avait eu auparavant qu’une seule édition en 1979 qui n’ait été suivie ou précédée d’une autre édition, 2019 est donc la seconde. C’est aussi depuis cette époque qu’il n’y avait pas eu deux années consécutives sans festival. Depuis 1979 aucune pause avait duré plus d’une année. Cette jachère COVID fait donc désormais partie de l’histoire de Glastonbury. Elle l’a en particulier privé de son 50eme anniversaire.
Si 2020 a dû être une année très compliquée pour les organisateurs, on peut supposer que 2021 a du leur donner beaucoup de temps pour mûrir quelques idées. Ce que l’on peut espérer, c’est que cette longue période d’inaction, et de frustration, puisse être fructueuse en projets, riches en nouveautés, contacts pris avec les artistes, et que la prochaine édition soit incroyablement exceptionnelle.
Photo: Northern Echoes