La bataille de Yeoman Bridge en 1990 a définitivement mis fin à l’époque des travellers. Mais elle a aussi forcé les organisateurs à faire une pause d’une année. Si Michael Eavis a toujours défendu les travellers, il ne bénéficie pas pour autant d’une totale unanimité dans son entourage. Certains membres de l’organisation ont toujours eu du mal avec cette population qui trainait avec elle une mauvaise réputation. L’année de jachère 91, est donc un moment de complète remise en cause à bien des niveaux. Par ailleurs, en 1990 le mur de Berlin est tombé, et les tensions entre l’Est et l’Ouest qui avaient conduit à la prolifération d’armes nucléaires ont, du jour au lendemain, disparu. La détente s’installe, et la cause défendue par le CND, si elle ne devient pas pour autant obsolète, devient moins prioritaire que d’autres causes elles aussi déjà sujet de préoccupation pour les organisateurs. Du coup, le CND, qui jusque là, était la structure associative principale sur laquelle s’appuyait le festival, est mise en retrait au bénéfice de deux autres associations: Green Peace et Oxfam. Le CND reste présent à Glastonbury, et bénéficie encore aujourd’hui de quelques subsides, mais dans une moindre mesure que dans les années 80. On a choisi Green Peace, pour la défense de l’environnement, sujet qui déjà dans les années 70 était déjà promu par le très hippie Andrew Kerr. C’était plutôt original à l’époque, et c’est ainsi que Glastonbury s’est retrouvé en pointe, bien que dans les années 70 ce genre de sujet n’intéressait pas grand monde. Sans doute, même, le festival a-t-il eu son rôle dans la sensibilisation du public depuis la création des Green Fields, dès 1984. Le second organisme financé par Glasto, Oxfam, est une association caritative qui agit principalement contre la pauvreté au niveau mondial. Pendant l’année de jachère, et dans l’optique de sécuriser l’espace dédié au festival, une autre nouveauté est mise en place: une barrière de trois mètres de haut entourant complétement les lieux. L’objectif est d’une part d’éviter les fraudes, et d’autre part de dissuader les travellers de revenir à Glastonbury. Il parait évident, que ces derniers trouvaient là une alternative au free festival de Stonehenge, et que désormais ils n’auront plus de lieu de réunion annuel, ce qui pourrait créer des troubles assez similaire à ce qui s’était passé lors de la bataille des Beanfield. Il ne faut donc pas laisser le moindre espoir de retour aux travellers. Par ailleurs, et c’est là une des preuves s’il en fallait, du génie de Michael Eavis, ce dernier fait appel à certains travellers en qui il a confiance, pour organiser une partie des animations à l’intérieur du festival. Le cas emblématique de cette collaboration, c’est la compagnie Mutoïd Waste, et son leader Joe Rush qui avait déjà créé l’installation Car Henge en 1987.
Profitant de l’année de jachère, les organisateurs ont inventé quelques nouveautés. Le festival de 1992, propose à ses 70 000 spectateurs une nouvelle scène appelée Jazz World, ancêtre de l’actuelle West Holts. Du côté des Green Fields, cette année là est créé le sacred space. Ivan Mac Beth qui avait déjà créé un cercle éphémère plus modeste dans Healing Field en 1990, se voit confié la réalisation d’un cercle de pierre définitif s’inspirant des cercles préhistoriques, tel stonehenge, que l’on trouve un peu partout dans la région. Au mois de mai précédent le festival, il commence son travail, et cela lui prend beaucoup de temps de trouver le concept définitif. Finalement, il décide de reproduire au sol, la constellation du Cygne, qui l’été se trouve au zénith, et contient les étoiles les plus brillantes du ciel. Sous les pierres, il place des cristaux et des pierres venant d’un peu partout en Grande-Bretagne, et dans une moindre mesure de quelques sites ésotériques étrangers. Le travail se termine le 21 juin au moment du Solstice, quelques jours seulement avant le début du festival. En parallèle, toujours dans la même zone de King’s Meadow, un autre projet est lancé, consistant à construire 4 dragons, à raison d’un par an. Celui créé en 1992, est un dragon de feu.
Au programme du festival 1992, la chose qui attire l’attention de tous, c’est que l’affiche annonce un invité surprise, au sujet duquel les rumeurs (déjà!) vont bon train. On attend U2, ou Prince (déjà, encore!!), et c’est Tom Jones qui apparait, causant la déception de beaucoup. En tête d’affiche on trouve Carter USM, Shakespear’s Sister, Youssou’n Dour. Autre déception pour les festivaliers, c’est l’annulation au dernier moment de Morissey qui est remplacé au pied levé par James. Ces derniers qui avaient été au programme de la Pyramide le vendredi matin, se voient propulsés le samedi 3eme d’affiche, juste avant Lou Reed. Notons aussi au programme les têtes d’affiche de la NME stage (l’actuelle Other stage): The Orb, The Shamen, et Blur. Les terrains auparavant donnés aux travellers, ont été intégrés à l’intérieur de l’enceinte et on y installe de nouvelles animations, qui vont donner les actuelles zones Sud-Est. Là, le soir, se déroulent les premiers shows de musique électronique s’inspirant des raves qui commencent à essaimer dans toute l’Europe,. En particulier, à cet endroit, lors d’une de ces sessions nocturnes, un nouveau groupe va faire exploser la nuit de Glastonbury: Underworld. De l’avis général, le festival se déroule bien, dans une ambiance beaucoup plus détendue que cette fameuse édition 1990. La barrière, la présence de la police qui est nettement plus collaborative qu’auparavant, et l’éloignement des travellers, ont contribué à nettement sécuriser le festival, même si les choses ne sont pas encore parfaites. Il y a encore un peu de délinquance sur le site, des dealers, et des resquilleurs creusent des trous pour passer sous la barrière.
De l’édition 1993 il n’y a pas grand chose à dire. Elle s’est déroulée sans problème. Pas de pluie, au contraire, le temps était plutôt à la canicule. Toujours quelques resquilleurs, qui creusent des trous sous la barrière, ou emploient des échelles. A l’affiche, The Orb, Lenny Kravitz, Velvet Underground, Stereo MCs, Rolf Harris, Robert Plant, The Verve. Le festival est filmé pour le documentaire Glastonbury The Movie. C’est le deuxième film consacré au festival après le documentaire sur la Glastonbury Fayre 1971. C’est un témoignage très intéressant de ce que Glasto était à l’poque, et on peut y voir les dernières images de la Pyramide, la deuxième qui avait été construite en 1981.
A l’inverse de la calme édition 1993, celle de 1994 sera le théâtre de plusieurs drames. Pour commencer, une dizaine de jours à peine avant l’ouverture du festival, la Pyramide, qui était essentiellement construite à partir de pylônes électriques prend feu, et se retrouve complètement détruite. Certains pensent que la cause de l’incendie serait d’origine électrique, mais ce n’est pas prouvé. Du coup, la société en charge de monter la NME stage, deuxième scène de l’époque, est sollicitée pour installer rapidement une autre structure à la place de la Pyramide. Pour l’alimenter en électricité, on installe une grande éolienne. Le deuxième drame de cette édition survient lors d’une altercation sur fond de drogue, un homme sort une arme, tire, et blesse 4 personnes, sans gravité heureusement. Le troisième drame, encore lié à la drogue, est la mort par overdose d’un jeune homme de 23 ans, Glasto 1994 est le théâtre du tout premier décès de son histoire. Mais il y a aussi quelques raison de se réjouir. Pour la première fois, le festival bénéficie d’une couverture télévisée, par Channel 4, une chaine de service public, mais non subventionnée par l’état, disons en résumé que c’était l’équivalent, en terme d’audience, d’une chaine comme France 5, ou Arte. Au programme: Bjork, Manic St Preachers, Orbital, Van Morrison, Lemonheads, Elvis Costello, Galliano et The Levellers. Concernant ces derniers, ils attirent cette année là, la plus grosse quantité de public jamais présente sur l’Arena de Glastonbury. Il semblerait que ce record ait finalement été battu par les Rolling Stones en 2013, mais des statistiques fiables manquent. Il faut dire que ce record avait été dopé par la quantité importante de gatecrashers (resquilleurs), qui s’étaient greffés aux 80 000 festivaliers payants. On comprend donc la difficulté de comptabilité du public présent.
Bien qu’on lui ait diagnostiqué un cancer à l’estomac, Michael Eavis décide tout de même d’organiser l’édition 1995 du festival. Au programme, les têtes d’affiche sont Oasis, Stone Roses et The Cure. Au dernier moment les Stone Roses sont obligés annuler, et sont remplacés par Pulp. La grande nouveauté de cette édition c’est l’apparition de la Dance tent. Nous sommes en déjà en 95, et Glasto a quelque peu manqué le virage des musiques électroniques qui ont pris leur essor depuis la fin des années 80, pour donner naissance à la rave culture à partir du second Summer of Love de 1988. Il y a sans doute plusieurs raisons à cet état de fait. D’abord la culture de fond du festival très ancrée dans un son Rock conventionnel, et la réputation que l’électro avait à l’époque. Je ne reviendrai pas en détail sur l’attitude de dénigrement assez général de la part du public rock de l’époque au sujet de la techno, mais sachez qu’il existait un clivage réel. Pourtant, certains proches des organisateurs, par exemple Steve Hillage qui avait fait partie de Gong, et avait participé à de nombreuses éditions du festival depuis la Glastonbury Fayre, avait passé le pas, il sera d’ailleurs longtemps un des promoteurs des musiques électroniques à Glastonbury. Une autre raison sans doute, c’est la très mauvaise presse que ces musiques avait auprès du grand public, qui faisait un amalgame systématique techno et ecstasy, et comme le festival avait déjà des problèmes d’image en particulier à cause des drogues qui y avaient beaucoup circulé pendant les années 80, sans doute les organisateurs ont-ils hésité un moment avant de programmer de l’électro. Quoi qu’il en soit, après un mythique show de Orbital en 1994, enfin la musique électronique dispose de sa scène.
Victime de son succès grandissant, le festival est toujours victime d’un quantité importante de gatecrashers, et cette année là, sans doute avec un peu d’aide venue de l’intérieur, ces derniers parviennent à faire tomber une bonne partie de la barrière d’enceinte au dessus de King’s Meadows.
Il est toujours difficile d’évaluer la quantité de personnes entrées frauduleusement, mais les chiffres oscillent entre 20 000 et 80 000. L’estimation haute revient à avoir le double de public que celui prévu par la licence. Évidemment, le district de Mendip va s’en plaindre, mais quoi qu’il en soit l’année 1996 est décrétée année de jachère, il n’y aura pas de festival, sans doute plus pour permettre à MIchael Eavis de se remettre de sa chimiothérapie, que de gérer la plainte des institutions locales.
A cette période tumultueuse, va suivre une période plus calme, où la persistence des resquilleurs va induire une inévitable mutation, c’est l’objet du Chapitre 11 – Fin de millénaire.