Le samedi 27 juin 1970, le Bath Festival of Blues and Progressive Music ouvre ses portes. A l’affiche sont prévus pendant les deux journées du week-end, une vingtaine de groupes dont Santana, Led Zeppelin. Country Joe McDonald, Jefferson Airplane, The Byrds, Moody Blues, Zappa, Canned Heat, Stepenwolf, Pink Floyd, en d’autres termes, la fine fleur de la musique des années 70. Habitant à Pilton, à 30km de Bath, accompagné de sa nouvelle compagne Jean, décident d’assister à l’événement. Faisant suite à l’édition de 1969 qui déjà avait été un succès, ce festival de Bath va être victime de son succès à cause de problèmes logistiques liés à un imprévisible afflux de public (plus de 150 000 personnes). En particulier, quantité de routes sont saturées de véhicules, empêchant les camions de certains artistes d’arriver jusqu’à proximité de la scène. Cela donne lieu à des attentes très longues, mais aussi des situations exceptionnelles entrées dans la légende, comme Donovan qui débarque à pied, au petit matin le dimanche, et qui après un moment de discussion avec le public joue seul sur scène. Par ailleurs, le festival prend tellement de retard qu’il se termine le lundi matin à l’aube.
Les deux éditions des festivals de Bath 1969 et 1970, sont des évènements très importants, et fondateurs dans l’univers des festivals en Grande-Bretagne, à une époque où il n’y en avait pas beaucoup. Il n’est pas étonnant que les Eavis aient été particulièrement impressionnés par l’ensemble des groupes. Plus tard Michael Eavis a déclaré en particulier avoir été impressionné par la prestation de Led Zeppelin. Il rentre chez lui avec l’idée saugrenue d’organiser son propre festival. Pourtant, il n’a rien d’un hippie, il est le fils d’une institutrice et d’un pasteur méthodiste et fermier, et est parfaitement intégré dans le tissu rural des environs de Shepton Mallet. Il a fait ses études dans une école navale, et débuté sa carrière dans la marine marchande. Alors qu’il n’avait que 19 ans, son père meurt, il décide de reprendre la ferme qui est dans la famille depuis 150 ans, et pour cela est contraint de contracter un emprunt. A cette époque, les fins de mois sont difficiles, et il complète ses revenus en travaillant pendant deux ans à la mine de Mendip. C’est là, au contact des syndicats, a-t-il déclaré plus tard, que s’est déterminée son orientation politique, à gauche. Il ajoute, que le contexte religieux dans lequel il a toujours vécu, prônant les valeurs de partage, correspondait avec les valeurs sociales qu’il avait adopté. Michael Eavis épouse sa première femme Ruth, avec laquelle il a 3 enfants, mais ils finissent par divorcer en 1964.
Michael a rencontré Jean Hayball en 1964, c’est donc dans les premiers temps de cette union qui n’a pas encore été officialisée par un mariage, que le jeune couple se rend à Bath pour le festival, MIchael a déjà 35 ans, et les temps difficiles du début de la ferme sont passés. Dés le lendemain ils envisagent avec enthousiasme d’organiser un festival sur le terrain de la ferme. Michael appelle la Colston Hall, une importante salle de concerts de Bristol, et demande s’il est possible d’engager les Kinks qui sont à ce moment numéros 1 dans les charts avec Lola. Ils acceptent pour £500. L’organisation est donc très artisanale, mais Michael Eavis parvient à constituer un line-up, imprimer des affiches, et communiquer un peu dans la presse. C’est d’ailleurs suite à une publication dans le magazine Melody Maker où l’on peut lire que les Kinks vont participer au mini festival de Pilton, que Michael Eavis reçoit quatre certificats médicaux signés par le même médecin, indiquant que les Kinks sont atteints de laryngite, et ne peuvent donc pas jouer. Marc Bolan, est contacté au dernier moment et accepte donc de les remplacer. On bricole une scène à côté de la ferme, et le samedi 19 septembre 1970, 1 500 personnes s’installent dans le champ pour le Pop Folk & Blues festival de Pilton où vont se produire Marc Bolan, Ian Anderson, Keith Christmas , Quintessence , Stackridge , Al Stewart, Amazing Blondel, et Sam Apple Pie. C’est pas cher, puisque l’entrée se monte à £1 par personne, et une pinte de lait de la ferme est offert. Pourtant, en dépit de ce prix d’entrée très attractif, 1 500 personnes c’est bien peu, même à cette époque. Inutile de dire que cette tentative est un échec économique total. Sans doute l’expérience a-t-elle du être cuisante.
Les causes de cet échec sont assez évidentes. D’abord, la programmation qui comptait des artistes très valables avec un T-Rex en pleine gloire, ou un Ian Anderson qui vient d’accéder à la notoriété avec Jethro Tull, ne comptait tout de même pas de grande star. Par ailleurs le désistement des Kinks, qui avaient préalablement été annoncés tête d’affiche, a dû causer des désistements, cela a nécessairement dû porter préjudice au festival. En plus, l’organisation était trop peu chevronnée, et la communication autour du festival avait été quasi insignifiante. Au moment de la clôture, Michael Eavis et sa compagne avaient donc organisé un festival, dont ils imaginaient sans doute qu’il n’y en aurait probablement pas d’autre édition.
Il existe un témoignage important de ce festival, celui de David Trippas qui est extrait de son texte I never saw the Beatles. En voici la traduction:
J’ai alors entendu dire qu’un petit festival allait se tenir dans une ferme près de Glastonbury, j’ai roulé mon sac de couchage et pris la route. Arrivant tôt à la Worthy Farm je me suis apperçu que même s’il y avait un prix d’entrée personne ne souciait réellement de savoir si vous aviez payé et en plus ils donnaient du lait dans des cartons. C’était une vraie ferme où une vieille baignoire abandonnée dans l’herbe devant le bâtiment de ferme servait d’abreuvoir. J’ai négocié un peu de nourriture puis je suis parti écouter un peu de musique, je me suis trouvé devant Marc Bolan avec Tyrannosaurus Rex qui jouaient dans une champ non loin à gauche de la ferme. Le groupe était installé sur l’herbe, sur petite une scène bricolée à partir de quelques échafaudages et d’une toile imperméable verte, seuls quelques personnes regardaient pourtant Marc produisait un show très pro, et je suis parti me promener.
La ferme était au sommet d’une petite vallée et il me semblait que le meilleur endroit pour la scène serait à proximité du fond de cette cuvette naturelle dans le plus grand des petits champs médiévaux. A la fin du festival j’ai eu l’impression que le fermier avait perdu beaucoup de fric, j’avais entendu qu’on lui avait donné une amende de £2 000 pour avoir vendu le lait d’une vache qui n’vait pas été contrôlée pour la fièvre de Malte, pourtant il n’a jamais été confirmé qu’elle était malade, et ça en plus du cout des groupes. Je me disais qu’il avait pris un gros bouillon, et j’étais désolé pour lui, d’autant que tout ce qu’il avait voulu faire était d’organiser un festival. J’ai appris plus tard qu’il était allé au West Showground de Bath et que comme moi il était passé sous le grillage pour entrer gratuitement. Je suis entré dans la pièce principale de la ferme et j’ai échangé mes idées avec Michael, plein de culture festival et quelques pages plus loin dans livre des fous nous avons faisions un drôle de tableau. Michael était petit et intense avec un visage inversé et une petite, barbe noire sans moustache, un bermuda en jeans, des bottes et un vieux pull de laine épaisse. Je faisais six pieds de haut et mes cheveux auburn bouclés me tombaient jusqu’à la taille, j’avais une fine barbe rousse et je portais un pantalon de marin trouvé dans un surplus de l’armée, un grand manteau d’officier de l’armée de l’air de la première guerre mondiale trouvé chez Oxfam, avec le nom du pilote inscrit à la plume sur la poche intérieure, le tout surmonté d’un casque de la seconde guerre mondiale,un grand pull de vieille laine et des bottes de baseball. Michael a écouté patiemment pendant mon meilleur laïus, affuté par des mois à vendre mes œuvres d’art et j’ai expliqué que je voulais tenter de trouver l’argent pour lui permettre d’organiser un nouveau festival et que l’amphithéâtre naturel dont la ferme disposait était le meilleur endroit pour la scène. Ayant terminé mon histoire parlé un peu de mes voyages, je l’ai remercié et suis parti en stop pour Londres…
Nous allons voir, que Trippas, malgré sa fantaisie va en effet contribuer à la suite de l’histoire… Chapitre 5 – Glastonbury Fayre.