Au stade où nous en sommes de notre récit, il y a eu un festival sur les terres de la Worthy Farm en 1970, et en 1971. Le premier a été un échec total, le second un échec partiel, mais en ce qui concerne ce dernier, étant un free festival, il n’était pas prévu d’en tirer profit. Et puis… tout s’arrête. Nous ne verrons plus de festival ici avant 1978, et même plutôt devrions nous considérer que le prochain réel festival de Glastonbury suivant sera organisé en 1979, c’est la plus longue période pendant laquelle il n’y aura pas de festival: la grande jachère. Mais n’allons pas trop vite, s’il ne va pas y avoir de festival pendant la presque totalité des années 70, il va pourtant se dérouler, pendant cette époque, des choses très importantes pour la suite de notre histoire.
Comme de nombreux chroniqueurs, je reviens tout au long de ces pages d’histoire sur ces deux premiers festivals, comme s’ils avaient été des événements majeurs. Je contribue à la création du mythe du Pilton Pop Rock & Folk festival, et du Glastonbury free festival de 1971, considérant à posteriori leur importance dans les fondations du festival de Glastonbury actuel. En réalité, au lendemain de la Glastonbury Fayre, il faut imaginer que si ce dernier événement a pu avoir quelque retentissement, la Worthy Farm et son festival retombent rapidement dans l’oubli. En d’autres termes, peu sont ceux qui ont assisté à l’un ou l’autre de ces festivals, et pour les autres tout est comme si rien ne s’était passé.
Pour mieux comprendre la suite, il nous faut revenir à la situation en Grande Bretagne, en matière de festivals, à cette époque.
Le National Jazz Festival créé en 1961 par Harold Pendleton, patron du Marquee Club (LA salle de concert Londonienne de l’époque, comme l’Olympia à Paris, disparue au milieu des années 90), devient le National Jazz and Blues Festival qui programme la fine fleur du rock Britannique. Ils ont les Stones en 1963 et 1964, s’y succéderont entre autres, The Yardbirds, The Who, Cream, Spencer Davis, Traffic, Small Faces, Jethro Tull, The Nice, Family, Fleetwood Mac, John Mayall, Jeff Beck, Blodwyn Pig, Pink Floyd, Incredible String Band, Fairport Convention, Pentangle, Arthur Brown, Tyrannosaurus Rex, Bonzo Dog Band, Colosseum, Joe Cocker et plein d’autres artistes dont la liste est apparemment sans fin, mais essentiellement britanniques. Notons aussi, que ce festival dont la localisation était mobile dans ses premières années, va finalement se sédentariser à Reading, et changer son nom en « Reading festival », puis « Reading and Leeds festival ». Ce festival a donc, depuis plus de 50 ans maintenant, vu passer toute l’histoire du rock. On notera en particulier le passage de Nirvana en 1992, immortalisé dans une vidéo restée célèbre, et surtout l’entrée en scène théâtrale de Kurt Cobain sur un fauteuil roulant. Ancré dans le paysage depuis des années, avec une programmation prestigieuse, c’est donc le principal festival du pays. Mais à l’époque, dans les années 70, c’est quasiment le seul.
En marge de ce festival devenu une institution, un certain nombre d’autres événements essayent sporadiquement, de prendre leur essor un peu partout en Grande Bretagne. Nous avons déjà vu, les deux festivals de Bath en 1969 et 1970, dont Michael Eavis s’était inspiré pour son Pilton Pop Blues & Folk festival. Le festival de l’île de Wight qui enregistre 15 000 participants en 1968 (c’est déjà une belle réussite), 150 000 en 1969, et 600 000 en 1970, va rester dans les mémoires comme un Woodstock britannique, mais il va s’arrêter là, il n’y a pas d’autre édition, si l’on omet qu’il a été réinventé bien longtemps après, en 2002. Nombre d’autres festivals, vont être créés, qui ne verront qu’une, voire deux éditions. Dans cette période post-Woodstock, tout le monde de veut créer son festival, mêlant une part d’idéalisme, une part d’esprit d’entreprise, mais surtout beaucoup d’inexpérience. Michael Eavis et Andrew Kerr ont déjà fait partie de ceux là, et ne sont plus en activité pour l’instant.
Une autre alternative, complètement idéaliste, issue du mode de vie communautaire hippie, se fait jour, il s’agit de l’organisation de free-festivals, dont l’édition 71 de Glastonbury fut un des épisodes majeurs. Certes, il ne s’agit pas là d’un mouvement mainstream, qui va entraîner toute la jeunesse britannique. Au contraire, maintenant que l’effet de mode autour de la culture hippie perd son souffle, peu sont nombreux ceux qui vont continuer à perpétuer le mouvement. Les membres de cette communauté, adoptent des modes de vies alternatifs, généralement communautaire, qu’ils soient sédentaires ou itinérants. Mais ils vont surtout se retrouver rapidement marginalisés, dans un Royaume-Uni qui verse dans un modèle ultra libéral, et très capitaliste. Cette communauté réduite, peu visible, a ses rites et sa culture underground. Ses membres se retrouvent périodiquement, un peu partout sur le territoire britannique, pour des fêtes plus ou moins improvisées. Ces rassemblements, appelés free festival, ou parfois fairs, sont organisés tout au long des années 70, jusqu’aux années Thatcher, sur lesquelles nous reviendrons plus loin dans notre histoire. Au moment où nous nous trouvons dans notre histoire, ce mouvement naissant ne draine que très peu de public, quasi uniquement issu du monde assez fermé de ces tenants de la contre culture post-hippie, ou du mouvement punk émergeant.
Le fait est, que dès le début, un free festival particulier a pris son essor, il s’agit de celui de Stonehenge. Je vous avais bien dit que nous tournerions autour de ce site tout au long de notre histoire! Il est évident que les hippie sont sensibles à la mythologie des lieux, et qu’il y a de nombreuses bonnes raisons pour eux de se rassembler à cet endroit au moment du solstice. Notons aussi, nous l’avions déja vu, qu’Andrew Kerr avait déjà envisagé ce site, préalablement au choix de Glastonbury, mais avait finalement écarté cette possibilité. Le premier free festival a eu lieu à Stonehenge en 1972, sans qu’on ait beaucoup plus d’information. Il semble que cela ait été un rassemblement assez spontané, organisé par bouche à oreille.
L’édition suivante est organisée en 1974, en réaction à l’intervention des forces de l’ordre durant le free festival de Windsor, qui était le principal free festival de l’époque. Cette année là, la police voit d’un très mauvais œil les hippie envahir les terres de la Reine, c’est donc le premier épisode d’une lutte qui va durer des années entre les organisateurs de festivals sauvages et la police. Conséquence de cette pression policière, les participants de Windsor se déplacent vers Stonehenge dont l’édition 74 ne compte pas grand monde et peu de groupe. Il est à noter qu’à ce moment les participants des free festivals créent une confrérie informelle: les Wallies, à chaque fois que l’un d’entre eux est interpellé par la police, lorsqu’on lui demande de décliner son identité, tous répondent la même chose: Wally.
Le free festival de Stonehenge est reconduit en 1975, et cette fois ci, grâce à une bonne communication, en particulier due à une affiche devenue mythique, bon nombre de spectateurs assistent à cette édition, on pense entre 2 000 et 3 000. Par ailleurs une programmation musicale étoffée, est assurée, qui compte en particulier Zorch déjà présents l’année précédente, et Hawkwind, qui va devenir le groupe phare de Stonehenge, et du mouvement des free festivals en général. Notons en passant qu’un certain Thomas Crimble avait oeuvré à la basse dans ce groupe avant de se consacrer à l’organisation de la Glastonbury Fayre de 71 avec Andrew Kerr, et que Hawkwind et sa galaxie (Arthur Brown, Nik Turner, Skin Alley, Pink Fairies) étaient très présents à Glastonbury 71. Vous le voyez, tout se met en place, pour relier les deux choses. Mais nous n’en sommes qu’au début.
En 1976 Stonehenge grossit, compte 6 scènes, et draine un public estimé à 5 000 personnes. Il dure 10 jours sans qu’il ne soit relevé le moindre problème. En 1977, tout se déroule sensiblement de la même manière, avec un public de 6 000 personnes, et Hawkwind est toujours présent. En quatre éditions le free festival de Stonehenge semble s’institutionnaliser, compte tenu de sa taille et de sa programmation, cet événement sans organisation bien définie tient la comparaison avec d’autres festivals payants. Mais cette année là, un autre festival nous ramène vers Glastonbury à 80km de là.
En effet, 3000 personnes se retrouvent pour un free festival le 7 juillet, sur les hauteurs de Street, à quelques kilomètres de Glastonbury. Rien à voir, donc, avec Michael Eavis et la Worthy Farm, dont nous sommes distant à plus de 10km. Les organisateurs de ce festival font partie d’une société appelée BIT Information, dont la vocation est de fournir gratuitement n’importe quel type d’information par téléphone (une sorte de Wikipedia ou moteur de recherche largement avant l’heure). Par ailleurs BIT, qui a été créé par Nicholas Albery, passé par Haight Ashbury en pleine période psychédélique, aide fréquemment les organisateurs de festivals, comme celui de l’île de Wight, ou Windsor. Cette fois ci ils choisissent d’organiser leur propre festival, à cette date particulière 7/7/77. Le lieu a été choisi dans les environs de Glastonbury en référence au free festival de 71, et du choix qui avait été fait du point de vue mystique et symbolique de son emplacement. Cet événement se déroule là, dans un cadre idyllique selon les personnes y ayant participé, sans qu’aucun problème particulier ne survienne, en particulier sans intervention policière.
En 1978, le free festival de Stonehenge a lieu pour la 6eme fois, comme toujours au moment du solstice. C’est devenu un événement relativement populaire, qui draine quelques milliers de participants essentiellement issus de la communauté hippie/travellers. Nous restons dans le cadre d’un festival relativement modeste dans ses proportions, marginal puisque issu de la contre-culture, qui n’attire pas particulièrement le grand public, mais qui d’une part devient très important pour la communauté, et qui commence tout de même à sortir de l’underground. La police est cette année là un peu plus présente, et pour la première fois, limite l’accès à certaines zones environnant le monument, mais globalement tout se passe bien. Pour une raison qui n’est pas claire, a cause du temps qui semble t-il était catastrophique, certains festivaliers, y compris certains groupes, décident d’abréger et de renouveler l’expérience du free festival de Glastonbury 1977. Un convoi se forme quittant Stonehenge pour la région de Glastonbury. Un champ a été choisi pour établir ce festival, sur Cinnamon Lane, dans la campagne attenant à la ville, à l’Ouest. C’est un endroit où un campement de hippies est établi depuis longue date, et ce avant même le festival de 71. Mais, la police intervient, et empêche au convoi d’accéder au campement. Déviés de leur trajectoire, ces derniers, prolongent leur chemin un peu plus loin, vers Pilton, pour demander asile à Michael Eavis, sur les terres de la Worthy Farm. Il accepte, le festival s’organise donc là, sous le contrôle d’une police très présente. Comme on peut l’imaginer, le climat de Glastonbury n’a aucune raison de différer grandement de celui de Stonehenge, et cette édition se déroule donc sous une pluie battante, les pieds dans la boue, en d’autres termes dans des conditions difficiles. Peu de concerts on lieu, sous une modeste scène pyramidale mal protégée. Et pour finir, constament harcelé par la police, Michael Eavis décide de mettre fin aux réjouissances avec deux jours d’avance sur le programme initialement prévu.
Andrew Kerr et sa compagne Jytte Pigott, s’étaient exilés en Ecosse à Scoraig, juste après la Glastonbury Fayre de 71, ils ont vécu là en autarcie dans une petite ferme qu’ils on restauré, et ont eu deux enfants. A cet instant de notre histoire, ils viennent de se séparer, et Andrew Kerr, revenu en Angleterre, débarque à nouveau sur la Worthy Farm. Il s’enthousiasme pour ce nouveau festival de Glastonbury, cependant à en croire les chroniques, il semble qu’il soit le seul. Mais cette énergie positive, peut-être, est-elle celle qui va permettre à notre histoire de continuer… et de nous permettre d’entrer dans le Chapitre 7 – Les débuts de l’ère moderne