Dans ce chapitre assez court nous allons évoquer les deux années 89 et 90 qui vont être deux années difficiles qui vont conduire à une nouvelle interruption du festival en 1991. Mais ces deux années marquent aussi le changement d’une époque, et en particulier la fin de l’ère CND que nous avons évoqué dans le chapitre précédent. Ce couple d’années constitue la plus courte période période d’organisation du festival, si l’on omet les premières années 70 et 71, et l’édition 79, lorsque le festival peinait à se mettre en œuvre. Ce bref épisode commence par de nombreuses difficultés, mais va se terminer sur de plus graves problèmes encore, qui vont conduire Michael Eavis à réformer son organisation, et faire des concessions sur certains points.
Tout d’abord, l’organisation de l’édition 1989 commence à nouveau par un conflit avec le district de Mendip, et porte essentiellement sur les termes de la licence. En particulier, le champ accordé aux travellers crée le débat. Non content d’attirer une population qui déplait à la frange conservatrice de la population, le district considère que ce champ dont l’accès est libre crée un afflux de festivaliers supplémentaire non contrôlable, et qu’il ne faudrait pas simplement se contenter de comptabiliser les entrées payantes. Finalement une licence pour 65 000 personnes est accordée aux organisateurs, mais on pense qu’en réalité ce sont pas loin de 100 000 personnes qui vont participer au festival, l’excès d’effectif étant à imputer au festival « off » organisé dans le champ des travellers. Evidemment, dans cette partie du site, en quasi auto-gestion, outre le contrôle inexistant de la foule, les trafics de drogue sont manifestes. Cette situation, évidemment ne simplifie pas les problèmes qui compliquent la relation entre les organisateurs du festival, le voisinage, et le district. Cependant, cette année, parmi les compromis acceptés par Michael Eavis, la police est autorisée à entrer dans l’enceinte du festival. Le fait, est que les forces de l’ordre, qui ne sont pas encore au point concernant cette manifestation, vont se concentrer à tenter de juguler les ventes de drogue, et s’en prennent très directement aux dealers, stratégie, semble-t-il peu efficace à postériori. Il n’y a pas de révolution du site à proprement dit, cette année là, ce que l’on peut noter c’est que la zone au Sud, s’affirme un peu davantage comme nous la connaissons en se structurant en deux sous-ensembles: Green Field et One Earth Arts Village, qui sont les précurseurs de l’actuel Green Field, et de Craft Field. Au chapitre de la programmation, Glastonbury 1989 voit le passage de Van Morrison pour la 3eme fois en 8 ans, Elvis Costello, the Pixies, Throwing Muses, Fella Kuti, et Youssou’n Dour. Mais surtout, on retiendra que cette année là, Suzanne Vega est en tête d’affiche le vendredi. C’est la première femme, à tenir la plus haute position du programme à Glastonbury. Mais ce n’est pas tout concernant ce concert. Une fan, tombée amoureuse du bassiste du groupe, lance une série de menaces par téléphone, qui sont prises très au sérieux par la police. Du coup, le groupe est autorisé à monter sur scène, mais à la condition de porter des gilets pare-balles. Aucun tir n’est venu perturber le concert. Alors que la culture Hippie, qui s’est muée dans le mouvement traveller, est en totale perte de vitesse, que que son idéal s’étiole et vieillit, sur un des parkings du festival s’organise un spectacle impromptu et off. Le collectif Hypnosis organise une rave où une série de DJ se relaient jusqu’au dimanche matin, quand des membres de la sécurité mettent brutalement fin aux réjouissances. Visiblement Michael Eavis et son équipe, n’ont pas encore compris qu’un nouveau courant musical prend son essort. Par ailleurs, c’est le premier coup d’éclat d’un service d’ordre qui n’a pas fini de faire parler de lui. Cela fait un an que le 2eme Summer of Love a débuté, faisant justement écho à l’événement fondateur de la culture Hippie, la jeunesse des années 90 sort de l’œuf pour prendre le pouvoir, et révolutionner le monde en proposant d’autres sons, et d’autres façons de faire de la musique. Cette révolution en marche dans tout le pays, mais aussi partout en Europe, se manifeste pour la première fois à Glastonbury sur le parking, en volant un peu d’espace au festival. L’oppression qui va s’exercer sur les musiques électroniques et la culture techno house, va durer plus de dix ans. Une fois de plus, les gouvernements conservateurs, et donc dans l’Angleterre de Thatcher plus qu’ailleurs, la répression contre tout se qui sort des normes va s’abattre. Si pour l’instant Glastonbury protège les travellers, ce n’est donc pas encore le cas des Ravers, mais un changement dans cette situation va commencer durant cette période charnière 89/90.
A la veille de l’année 1990, le mur de Berlin tombe produisant un fracas médiatique retentissant. L’événement est incontestablement historique, mais surtout, il met définitivement fin à un conflit larvé entre le bloc de l’Est et le monde occidental. Cette Guerre Froide, qui avait débuté en 1947, et durait donc donc depuis plus de 40 ans, avait conduit les principaux pays développés à construire un arsenal nucléaire considérable. C’est essentiellement cette course à l’armement qui avait conduit à la création du CND, mais aussi de tout autre mouvement pacifiste au sens large dont les Hippies s’étaient fait l’écho. Ces causes que le festival de Glastonbury avaient jusque là défendues, perdent alors beaucoup de raison d’être, et si les idées pacifistes gardent leur raison d’être, il est clair, qu’en pleine période de détente entre l’Est et l’Ouest mettant un terme à la course à l’armement nucléaire, un mouvement appelé Campaign for Nuclear Disarmament semble n’avoir plus de cause à défendre. Rappelons nous que jusqu’à présent le festival s’appelait officiellement Glastonbury CND Festival. En 1990 il change de nom, pour devenir Glastonbury Festival for Contemporary Performing Arts, qui est encore aujourd’hui son nom actuel. Ce changement de nom vient mettre en avant la diversité de programmation du festival, et plus particulièrement le travail d’Arabella Churchill qui a développé toute la partie qui n’est pas exclusivement musicale (théâtre, cirque, poésie…), et qui fait de Glastonbury un festival différent. A ce moment, Glastonbury avec ses 70 festivaliers, n’est que la moitié de ce qu’il est aujourd’hui, mais cet effectif en fait un gros festival à l’époque, plus gros que l’historique Reading par exemple. Il n’y a guère que Castle Donington et son Monsters of Rock pour faire plus gros avec ses 100 000 festivaliers. Si les autres festivals misent essentiellement sur une grosse programmation concentrée sur une ou deux scènes, le choix qui est fait à Glastonbury est de diversifier l’expérience, quitte à rester plus modeste sur la programmation. Ce chagement de nom tente de refléter cet état d’esprit. Mais il préfigure aussi un changement de cause. C’est la dernière année que Glastonbury va supporter exclusivement le CND, et d’autres associations vont recevoir la majorité des bénéfices du festival. La licence accordée en 1990, autorise un effectif de 70 000 personnes sur le site, mais comme les années précédentes depuis 1985, un compte indéterminé de travellers installés dans Clapps Ground vient grossir ce chiffre. Cette année là, la relation avec les travellers va dramatiquement se détériorer. D’abord, quelques uns d’entre eux arrivant prématurément, et comme c’était l’usage sans billets pour rejoindre le champ qui leur était usuellement destiné. Mais il trouvent porte close, et le ton monte avec la sécurité. Quelques échauffourées éclatent, certains travellers essayent de forcer le passage, et les membres de la sécurité, comme d’habitude réagissent par la force et violemment. Avant que les choses ne finissent par rentrer dans l’ordre il y a eu de la casse parmi les véhicules de travellers. Lorsque le festival « off » dans le champ des travellers se met en route, la situation est extrêmement tendue avec la sécurité. Pendant toute la durée du festival, une rumeur circule dans le champ, qui prétendent que la sécurité rackette les dealers (voire tout individu en possession de stupéfiants) pour revendre la drogue ensuite dans l’enceinte payante du festival. Les rumeurs vont jusqu’à prétendre qu’ils rançonnent aussi les commerces « sauvages » qui s’installent dans Clapps Field. Ces actes dont on ne sait pas réellement, s’ils ont eu lieu ou pas, contribuent alors à détériorer encore davantage l’ambiance dans Clapps field. A l’intérieur de l’enceinte officielle du festival, tout se déroule normalement. Les Green Fields se sont étendus et diversifiés. Les scènes sont maintenant au nombre de trois, avec la Pyramide, l’Acoustic stage, et une nouvelle venue la World Music stage installée à West Holts qui préfigure déjà l’actuelle West Holts stage. Au programme, The Cure, The Pogues, les inoxydables Hawkind (qui passent aussi chaque année au festival Off des travellers), Ry Cooder, Sinead O’Connor, De La Soul, James, des français: La Mano Negra, et le cirque Archaos. Notons aussi un certain Paul Oakenfold, qui est donc la première incarnation à Glastonbury de la musique électronique, mais nous sommes encore un peu loin de la première Dance Tent! Au sujet de la programmation, n’oublions pas non-plus le fameux concert des Happy Mondays. Le fameux groupe, icône de la période Madchester, est quasiment au faîte de sa gloire, mais déjà sujets aux excès de drogue et d’alcool, il enchaînent maladroitement les deux premiers morceaux du concert, et font fuir en quelques minutes un flux important de festivaliers qui quittent donc l’Arena pour se trouver d’autres choses à faire ou à voir.
L’édition 1990 du festival de Glastonbury se termine donc par un succès avec £100 000 de bénéfices qui sont pour leu plus grande part, versés au CND. Mais, alors que le public est en train de quitter le site, des travellers fouillent les campings. Là, aucun témoignage n’est fiable, les travellers déclareront qu’ils fouillaient dans les restes abandonnés par les festivaliers, la sécurité dira qu’ils étaient en train de voler dans des tentes. Un témoignage accordé à Michael Eavis, indiquerait qu’un traveller aurait volé une tente qui appartenait à l’église, et puis aurait défoncé des clotures avec son véhicule. Le fait est que la sécurité, toujours de façon brutale, tombe sur quelques travellers, et que lorsque la chose finit par se savoir, les tensions accumulées pendant tout le festival entre travellers et service d’ordre se libèrent alors brutalement. Une bataille en règle se déclenche, opposant les deux petites armées aux effectifs relativement considérables. Le groupe de sécurité, largement dépassé par le nombre de travellers, riposte en particulier en bricolant des cocktails Molotov, mais ce n’est pas suffisant et les travellers finissent par totalement occuper le site, détruisant au passage des 4×4 de la sécurité et quelques infrastructures. Cette occupation du site du festival dure pendant la nuit, et les forces de police interviennent finalement, et procèdent à plus de 200 arrestations aussi bien dans les rangs de travellers que de la sécurité. Au petit matin, ce qui fut la bataille de Yeoman’s bridge est terminée. Les travellers quittent finalement Glastonbury victorieux. Cependant, ce qu’ils ne savent pas, c’est que cette victoire va leur couter leurs privilèges.
Suite à ces événements désastreux, il n’est plus possible pour Michael Eavis de défendre la sous-culture traveller auprès de son voisinage, du conseil de Mendip, et même de certains bénévoles dans l’équipe d’organisation. Il est décidé d’effectuer une pause en 1991, et de réorganiser le festival différemment, de le sécuriser davantage, et d’en exclure les travellers. Ces derniers, vont se fondre un temps avec la Rave culture qui va perpétuer un temps l’esprit des free-festivals, vant, une fois de plus, de subir une forte répression de la part du gouvernement conservateur. Finalement le Criminal Justice and Public Order Act de 1994 va définitivement mettre fin à la fois à la Rave culture et au mouvement travellers. Leur nombre a considérablement diminué de nos jours en Grande-Bretagne désormais. Cet épisode de la bataille de Yeoman’s Bridge n’est pas à proprement parler le moment exact de la fin de ce courant, mais plutôt un moment phare de son déclin, une sorte de chant du cygne des travellers.
La suite de l’Histoire de Glastonbury, sans les travellers, et comment le festival va se restructurer, dans: Chapitre 10 – 1992 – 1995